[Venant du salon]
[Nox]
Bien. C'était facile.
La porte donnant sur les escaliers est la porte qui mène à la cave. Logique.
Et coup de chance, c'est la première que j'ai ouverte. J'aurais détesté devoir tâtonner sous le regard de l'autre Mémé, là, dans le salon, dont j'ai laissé la porte largement ouverte.
Signe que je vais revenir très vite.
Et aussi que je me fous qu'elle... chope une angine à cause des courants d'air.
Ça fait mal une angine. Claudia me répond que oui. Je suis satisfait.
Cette cave est très vaste, et je surprends une sorte de vide éberlué à la place que la mémoire de Claudia occupe dans mon esprit depuis que j'ai pris possession de sa chair. Apparemment c'est... Byzance ? Une ville disparue, ça, non ? Ah, très luxueuse et extraordinairement opulente, voire un brin décadente. Bien. Les images me plaisent. Quand tout ceci sera éclairci, je me vois bien partir à la recherche d'une Byzance moderne.
Bien. Nous cherchons de l'alcool et du tabac.
Claudia rit tout haut. Ça veut dire "fastoche".
On dirait que ce n'est que de l'alcool, ici.
Je m'avance vers les étagères et les casiers, remplis d'objets en verre contenant... du vin. Fermentation à base de jus de fruits. Délicieux, dit-elle, quand on sait bien choisir. Mais elle n'y connaît pas grand chose, de son propre aveu. Tout ce qu'elle sait apparemment, c'est que plus c'est vieux, meilleur ça peut être. Et que "Premier Grand Cru Classé" comme sur cette étiquette, là, c'est bon signe.
Sauf que je n'ai pas envie de ramener un délice à la vieille peau. De la "gnôle", ça suffira.
Surtout qu'on parle plus sous l'influence de la gnôle, me glisse-t-elle.
Voilà qui est bon à savoir.
Troublant. Je ressens son envie.
C'est un peu comme l'envie de clope. Moins pressant, moins mélancolique. Mais tout ceci lui fait envie.
J'ai des images qui me viennent d'elle avec un verre ou le goulot d'une bouteille à la main, des souvenirs de folie débridée, de déséquilibres étranges, de voyages rapides dans d'étranges véhicules, à regarder la nuit avec le vent sur le visage, dans une sorte de béatitude trouble.
Et ça m'effraie un peu.
Ça sent une perte de contrôle que je ne veux pas lui permettre.
Il n'y aura pas de gnôle pour Claudia.
Tiens, voilà.
Sur une étagère à part, une série de bouteilles qui renferment un liquide couleur de feu, ambre clair. Whisky, dit l'étiquette. Du bon, susurre Claudia. Glenmorangie, 18 ans. Je fronce les sourcils. Gnôle, on a dit. Pas Nectar.
Johnny Walker.
Je souris.
Celui qui allumait le feu ?
Claudia s'esclaffe. Ça ça peut allumer le feu aussi, ça lui fera les pieds, à la vieille.
Moi je me dis que je pourrai toujours prétendre que j'ai pris au hasard, n'y connaissant rien.
Bien, chose faite.
Je fouille quelques placards et finis par tomber sur une pochette de plastique. Un animal étrange est dessiné sur l'enveloppe couleur sable. Camel, dit Claudia. C'en est. Je sens qu'elle aurait préféré autre chose, mais je ne lui donne pas le temps de regretter, et je remonte avec mes trouvailles.
Je ne sais quel accès de perversité me fait songer un instant à éteindre la lanterne.
Je résiste.
On dirait que Claudia est, en plus d'un sale caractère, une sacrée fouteuse de merde.
Ou alors c'est moi.
[Repart vers le salon]