Quelque part dans des montagnes, au loin, pris dans les glaces et mordu par le blizzard, gît un phare. Trop loin de la mer et de ses vagues pour avoir une utilité, il sert toutefois cette nuit de refuge au dernier être vivant de ce lieu.
Sous la neige, il avait tout de même trouvé la force de rassembler des fragments de Roche-griffe que d'autres avaient abandonnés de-ci de-là dans la montagne. Assez pour pouvoir finir ce qu'il avait commencé. Ce n'était pas la première fois qu'il essayait mais il n'avait jamais trouvé le courage d'aller jusqu'au bout. Mais cette fois, il le ferait, il oserait et sa mort aurait enfin un sens.
Ses vieux genoux usés l'avait porté jusqu'au phare. Il avait verrouillé la porte par pur réflexe, puis s'était traîné tout en haut, jusqu'au sommet de l'édifice.
Dans l'emplacement prévu à cet effet, le vieillard s'était démené pour rallumer la flamme qui vacille et crachote faiblement des braises. Le bois est trop humide et le feu peine à démarrer mais il n'est pas question d'abandonner. Plus maintenant.
Dehors, la neige tombe à gros flocon. Impossible de voir ce qui se trouve à l'extérieur, mais le vieillard s'en moque. Il sait que cette nuit est sa dernière. Seul ce feu compte désormais.
Allez. Démarre. S'il te plaît !
Puis, la flamme avait finalement léché les bûches les plus sèches et le feu était devenu magnifique, grimpant jusqu'au plafond de verre, illuminant le lieu de ses couleurs or et rubis.
Le vieillard avait jubilé, puis s'était précipité sur son petit sac : tous les fragments de Roche-griffe qu'il avait assemblé furent jetés dans le feu, changea légèrement la couleur de celui-ci et les teintes qui flottaient sur le lieu, mais il savait que cela ne suffirait pas. Il fallait quelque chose de plus.
Le vieillard pria une seconde afin de se donner du courage. Il avait vécu si longtemps, il ne lui restait plus grand-chose à espérer.
Puis, il plongea son bras dans les flammes.
Pas de douleur ni de souffrance, sa peau ne noircit pas et aucun grésillement n'en vint. Le feu et les fragments de Roche-griffe se contentèrent de boire son âme, lentement et doucement.
Le vieillard se senti faiblir, et pourtant le phénomène ne se produit pas.
Je vois ce qu'il me reste à faire.
Un profond soupir se fit entendre. Une petite partie de son âme ne suffisait pas pour un miracle de cette taille. Il fallait donner absolument tout et même s'il le savait, il en avait peur.
Pourtant, il le fit. Le vieillard se leva à l'aide d'une canne improvisée, un vulgaire morceau de bois, puis après une seconde d'hésitation, traversa les flammes – et disparu totalement, avalé par le feu et les fragments de Roche-griffe.
Quelques instants plus tard, le corps sans vie du vieillard se tenait non loin du feu, allongé sur le sol froid, face contre terre.